NIGHTSNOW de MELIK OHANIAN Îles Vestmann, au large de l’Islande. Dernière zone éclairée du territoire. Une route ascendante. À droite, des lampadaires, longues tiges linéaires prolongées d’un oeil circulaire lumineux en leur extrémité. À gauche, un entrepôt, forme de cube, architecture pré ou post-humaine tremplin d’un flot de neige. L’artiste est celui « à qui l’obstacle sert de tremplin » disait Gide. En d’autres termes, une composition géométrique avec les premières lettres de son alphabet : ligne, cercle et carré. Un ballet de particules de neige, vient s’opposer par son immatérialité à ce décor muet et former, à la surface de l’écran, une poésie colorée kaléidoscopique, manifeste pour une nouvelle vision. Est-ce une vision romantique, selon laquelle il faudrait « romantiser le monde, faire apparaî tre monumental l’insignifiant, plein le vide »(Novalis) ? Est-ce donc, à travers ce paysage où toute identification est rendue impossible, son questionnement par un appareil de vision, soit-il photographique ou cinématographique ? L’intérêt de Melik Ohanian pour la photographie est connu, dont le noir et le blanc constituent ici une évocation discrète là où s’affirme la fixité totale de l’objectif. Filmer, c’est, selon Jean-Christophe Royoux « la synthèse de l’appareil photographique et de la voiture ou de la locomotive ». Ici, un plan-séquence, créé par l’appareil fixe, capte une voiture de police qui passe. Ancrée dans ces pratiques, l’oeuvre ne s’en situe pas moins dans une entreprise de déconstruction : négation de l’instant photographique par l’atemporel et celle du temps abstrait du montage cinématographique par des contre – évènements en temps réel – le passage d’une voiture, du vent, de la neige. Entre observation scientifique immuable et vertige de la destruction kaléidoscopique, l’oeuvre nous fait vivre l’expérience d’un aveuglement spatial et temporel, comme le symbolise cette main décidée effaçant les flocons sur l’écran. L’aveuglement d’un sens appelle à l’éveil d’un autre, intérieur peut-être. Tremplin pour une nouvelle vision ? Jeanne Dreyfus (Press Release • Le Georges Centre Pompidou, 2010)